Language Matters

Kathleen Stein Smith, Ph.D

“Louisiana Perspectives” — Guest Post by Joseph Dunn

I am honored today to have as my guest Joseph Dunn, thought leader, influencer, advocate, and activist in support of French language and Francophone culture in Louisiana. He is the former Director of the Council for the Development of French in Louisiana/le Conseil pour le développement du Français en Louisiane (CODOFIL).

le 24 avril 2020 : Contribution au blogue “Language Matters”

Lorsque Kathleen m’a proposé de contribuer un article à “Language Matters” je ne savais vraiment pas comment m’y attaquer parce que je craignais que mon ton “râleur” ne prenne le dessus de ce que j’avais à dire.

C’est néanmoins vrai que nous qui travaillons aux Etats-Unis dans le domaine de la promotion du/des français sommes confronté.e.s tous les jours à des idées reçues sur la valeur et l’utilité d’apprendre et de parler ces langues qui nous tiennent tant à cœur. Comment donc ne pas se retrouver frustré.e.s devant ce bombardement de contradictions vocalisées par des personnes qui ne parlent même pas une variété quelconque de français ?

Je devrais peut-être d’abord préciser que je ne suis ni éducateur ni professeur de français, ce qui me permet — du moins, je pense — d’avoir une perspective un peu différente de celle que pourraient avoir mes amis et collègues qui passent leur temps dans une salle de classe. Sur ce, je vous prie d’emblée de bien vouloir me pardonner la nature “conversationnelle” de ce texte. Allez, c’est parti !

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Dunn photo 04-24-20

En tant que descendant de colons français arrivés à La Nouvelle-Orléans dans les années 1740, je me suis toujours identifié à l’histoire vécue et développée en Louisiane en langue française et en langue créole (appelé aussi ‘kouri-vini’ dans le vernaculaire). M’étant réapproprié très jeune ces “langues d’héritage” ou “langues de patrimoine” — car ce ne sont point des “langues étrangères” en Louisiane ! — mon travail depuis plus de 26 ans dans les secteurs touristique et culturel en Louisiane tant dans le privé tant au service du publique[1] m’a amené à plusieurs réflexions dont je souhaiterais faire part à la communauté éducative.

1) Les complexités de la Louisiane franco-créolophone historique et contemporaine sont presqu’inconnues, et ce même par les Louisianais. Je dis “franco-créolophone” parce que la dualité linguistique français/créole existait à l’époque, spécialement dans les plantations de canne à sucre le long du Mississippi et à La Nouvelle-Orléans, où les personnes tenues en esclavage et les gens de couleur libres[2] parlaient ces langues autant que les blancs. Cette dualité est toujours perceptible aujourd’hui.

2) La Louisiane franco-créolophone représente une riche mosaïque de plus d’une douzaine de groupes[3] qui pourront se dire d’héritage francophone ou créolophone. Il ne s’agit pas uniquement des réfugiés Acadiens devenus Cadiens[4], mais d’Amérindiens, de colons français, espagnols, belges, suisses, d’esclaves africains, de réfugiés St-Dominguois (qui furent d’ailleurs trois fois plus nombreux que les exilés acadiens), enfin, d’immigrants de toutes parts qui parlaient français avant d’arriver ici ou qui s’y sont mis pour survivre une fois sur le sol de la Louisiane.

3) De nos jours, les identités “Cadien” et “Créole” sont devenues des étiquettes ethno-racio-généalogiques à cause de l’assimilation forcée en anglais imposée à partir de 1921[5], de la ségrégation raciale institutionnelle et de la perte des langues d’héritage et ne sont plus synonymes de “francophone” ou de “créolophone.” Ne cherchez donc pas aujourd’hui à ce que la personne qui se dit “Cadien” ou “Creole” parle l’une de ces langues.

4) En dépit de ce que beaucoup de gens ont tendance à croire, le français en Louisiane n’était jamais “une langue uniquement orale.” Des journaux en langue française furent publiés partout en Louisiane jusqu’au début du 20e siècle.[6] Il existait une littérature florissante en français, en fait, c’étaient des Afro-Créoles louisianais qui ont publié en 1845 le tout premier recueil de poésie[7] écrit par des personnes de couleur aux Etat-Unis, quatre-vingts ans avant la Harlem Renaissance ! Si le français était “juste une langue orale,” l’anglais l’était tout aussi “juste une langue orale” jusqu’à ce que l’éducation devienne obligatoire en 1916 parce que les taux d’alphabétisation chez les francophones et les anglophones étaient similaires. Les parlants français étaient même plus aptes à être alphabétisés en anglais que les monolingues anglophones. Comme quoi…

5) Le nombre de parlants français et/ou créole en Louisiane a chuté d’un million en 1970 à moins de 100,000 aujourd’hui. Cela représente une diminution de 90% en 50 ans parce que ces langues n’ont pas été transmises de manière intergénérationnelle et parce que les Louisianais franco-créolophones de toutes les couleurs et identités diverses n’ont pas su, en raison de la ségrégation institutionnelle et l’assimilation imposée au cours du 20e siècle, se fédérer autour de leurs langues communes pour en faire une force économique et politique.

6) Or, malgré tous les défis et obstacles, les jeunes Louisianais issus des cours de français langue seconde et des écoles d’immersion commencent aujourd’hui à assurer la relève en créant, chantant, écrivant et produisant du contenu imprimé et numérique en langue française et créole. Pour citer quelques initiatives, sans mentionner les innombrables Franco-Louisianais qui sont actif.ve.s et qui s’expriment en français, en kouri-vini et en anglais (selon le sujet) sur les différents réseaux sociaux :

-Télé-Louisiane (sur Facebook et Twitter)

-Le podcast/ballado Charrer-Veiller

-Le recueil de poésie “O Malheureuse”[8]

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Comme vous pouvez sûrement le constater par cette lecture, je suis passionné par le sujet de ma chère Louisiane et pourrais ainsi continuer sur des pages et des pages. Mais je m’arrête là avec l’espoir de revenir bientôt avec d’autres réflexions.

Si ce petit avant-goût vous a piqué l’intérêt d’en découvrir davantage, je vous invite à consulter mon blogue louisianaperspectives.wordpress.com et si vous avez le courage, de vous aventurer sur mon Twitter à @louisianais1742.

Amitiés franco-louisianaises,

Joseph Dunn

entrepreneur touristico-culturel | activiste franco-créolophone |démythificateur

[1] Joseph Dunn était directeur du Conseil pour de développement du français en Lousiane (CODOFIL) de 2011 à 2014.

[2] Le jazz est né en langue créole, car inventé par des Créoles de couleur.

[3] French, Cajun, Creole, Houma: A Primer on Francophone Louisiana; Carl Brasseaux; 2006; Louisiana State University Press

[4] Si vous ne retenez RIEN d’autre de ce texte, cher lecteur, je vous prie de noter que le terme “Cajun” est à éviter en français car c’est une approximation phonétique anglophone de la prononciation franco-louisianaise de “cadien.ne.” Cette orthographe fut même reconnue par l’Académie Française lors de l’attribution en 2013 du Prix Henri de Régnier à Kirby Jambon, Cadien et actuel poète lauréat de la Louisiane francophone.

[5] Constitution de l’Etat de Louisiane, adoptée le 18 juin 1921; Article XII;  Section 12 :  “The general exercises in the public schools shall be conducted in the English language.” Malgré la croyance générale, il n’était jamais “illégal” de parler français dans les écoles louisianaises, or, le français fut réétiqueté “langue étrangère” et enseigné comme tel, en dépit du fait que c’était la langue maternelle et quotidienne de la majorité des élèves dans les paroisses du sud de l’état.

[6] Pour une liste avec dates de publication de ces journaux : https://www.lib.lsu.edu/sites/all/files/sc/lnp/lnp_french.pdf

[7] Les Cenelles; édité par Armand Lanusse; 1845

[8] O Malheureuse; Ashlee Wilson Michot; 2019; UL Press

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